Chapitre 1 Introduction

Près de vingt ans après “l’État des lieux du chant choral” mené au début des années 2000, l’enquête présentée dans le cadre de ce rapport ambitionne de mettre à jour la connaissance des pratiques chorales en amateur en France. Elle s’attache à documenter plus spécifiquement les caractéristiques des chœurs amateurs, de leurs chefs, et de la relation qui se tisse entre eux. Cette nouvelle étude met à jour les évolutions qui ont transformé le milieu choral au cours des dernières décennies.

Afin d’en préciser les contours, nous détaillons dans cette introduction le contexte dans lequel cette enquête a été menée, ainsi que les choix méthodologiques adoptés par le comité de pilotage de l’étude.

1.1 Etat des connaissances

Plusieurs angles d’attaques peuvent être adoptés pour étudier le chant choral sur le plan statistique. Les travaux consacrés à la population des choristes existent, mais ils soulèvent encore aujourd’hui beaucoup de questions sans réponses. Pour sa part, cette enquête s’inscrit dans la lignée d’études s’intéressant aux chœurs, et aux chefs.

1.1.1 Une pratique massive, mais peu documentée

En 2020, sur la base d’un sondage commandé à l’IFOP, la fédération A Cœur Joie évalue à 4% la proportion de la population adulte pratiquant régulièrement le chant choral, soit 2 millions de choristes (A Cœur Joie 2020). Ces chiffres qui placeraient la France dans la moyenne européenne (European Choral Association Europa Cantat 2015) sont difficiles à conforter, mais ils sont cohérents en termes d’ordre de grandeur avec d’autres enquêtes menées au cours des vingt dernières années. En 2008, le DEPS du Ministère de la culture évaluait à 4% des plus de 15 ans la part des Français qui “chantent dans une chorale ou un groupe vocal” (Guy 2008). En 2003, une enquête du Ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative évaluait à 3% la part de ceux qui pratiquaient “le chant ou la chorale” (Muller 2005). Ces enquêtent restent toutefois très générales. En dehors d’une évaluation globale de la fréquence de la pratique du chant choral, elles informent peu sur le profil des choristes en dehors de quelques caractéristiques sociographiques donnés par l’enquête “Participation culturelle et sportive”.

Les données les plus précises à ce jour restent l’enquête sur les pratiques artistiques en amateur réalisée par le DEPS, qui date désormais de près de 30 ans (Donnat 1996). Elle évaluait à 5% de la population la part des plus de 15 ans qui avaient chanté dans une chorale ou un ensemble vocal au cours de l’année écoulée. Elle dresse le portrait d’une population qui se distingue clairement des autres musiciens amateurs : plus féminisée et globalement plus âgée. Elle montre en outre que les chanteurs entretiennent à la pratique amateur un rapport sensiblement différent de celui des instrumentistes. En revanche, les enquêtes “pratiques culturelles” du DEPS, ne distinguent pas dans leurs traitements la pratique chorale des autres pratiques musicales collectives. Elles ne permettent pas de suivre l’évolution de la population des choristes (Donnat 1998, 2009).

1.1.2 Connaissance des chœurs et des chefs de chœurs

Les approches statistiques de la population des choristes et de leurs caractéristiques socio-démographiques sont donc limitées. Des études ont en revanche éclairé plus en profondeur le milieu des pratiques chorales sous d’autres angles. Les enquêtes menées par les Missions voix en Région, en particulier, ont contribué à mieux percevoir l’ampleur et les formes de la pratique chorale. La démarche “d’État des lieux du chant choral” menée au début des années 2000 marque un jalon dans l’étude des pratiques chorales. Le fonctionnement en réseau des Missions voix en Région, en relation avec la DMDTS1 et l’IFAC2 avait permis la réalisation de 15 enquêtes régionales échelonnées de 1999 à 2004. L’homogénéisation des méthodes d’enquête avait permis d’établir un vaste panorama des pratiques chorales en France (DMTS 2007; Lurton 2007).

Dans le prolongement de cette étude, une autre enquête réalisée sur un échantillon plus restreint proposait à la fin des années 2000 un focus plus particulier sur les enjeux économiques de la pratique chorale en amateur (PFI 2010; Lurton 2018). Si l’ensemble de ces données ont permis d’alimenter une approche monographique globale des pratiques chorales en France (Lurton 2011), elles n’ont pas connu de mise à jour d’ampleur nationale au cours des 15 dernières années.

1.2 Méthodologie d’enquête

L’enquête présentée dans le cadre de ce rapport s’inscrit dans la continuité de “l’État des lieux du chant choral” mené au début des années 2000. Il est le fruit d’un processus collectif rassemblant les acteurs majeurs du monde choral à l’échelle nationale, qui s’est construit de 2021 à 2023.

1.2.1 Processus de construction de l’enquête

La démarche d’enquête nationale sur “les chœurs amateurs et leurs chefs” résulte de la rencontre de deux projets.

Une initiative régionale d’une part : le Cepravoi3, et Métiers Culture4 se retrouvent autour de la question de l’accompagnement de l’emploi des chefs de chœurs en région Centre - Val de Loire. Constatant un manque de données récentes sur la question, les deux structures ont souhaité réaliser une enquête sur les enjeux de professionnalisation de la direction au sein des chorales amateurs de leur territoire.

Une démarche collective menée à l’échelle nationale d’autre part : un collectif d’associations s’est constitué pour mener une réflexion sur la reconnaissance des compétences de chef de chœur travaillant auprès d’ensembles amateurs. Celui-ci rassemble l’Institut Français d’Art Choral (IFAC), les deux grandes fédérations musicales actives dans le domaine du chant choral À Cœur Joie et CMF5, ainsi que les principales Missions voix encore en activité à ce jour : CEPRAVOI, INECC - mission voix lorraine, Cité de la Voix et ARPA Occitanie. Le lien entre les deux démarches ayant été établi relativement tôt dans le processus, il a été entendu que les deux enquêtes, dont la réalisation a été confiée au laboratoire CEREGE de l’Université de Poitiers, seraient élaborées de concert.

Le processus d’enquête en Centre - Val de Loire étant plus avancé que la démarche d’étude nationale, celui-ci a été conçu comme une enquête pilote qui préfigurerait l’enquête nationale. Le questionnaire élaboré en concertation avec le comité de pilotage de l’enquête nationale a été diffusé de décembre 2021 à mars 2022. L’exploitation des résultats régionaux (Lurton 2022) a permis d’améliorer à la marge le dispositif d’enquête permettant la passation à l’échelle nationale d’un questionnaire légèrement remanié au cours du printemps 2023.

1.2.2 Questionnaires

L’enquête repose sur deux questionnaires, l’un destiné aux chœurs amateurs, l’autre destiné à leurs chefs. Les questionnaires construits dans le cadre de l’enquête en région Centre - Val de Loire ont été soumis au comité de pilotage de l’enquête nationale avant passation pour y intégrer ses préoccupations. Suite à l’exploitation des résultats régionaux, des modifications mineures y ont été apportées : modification de l’ordre de quelques questions, reformulation de certaines questions dont la compréhension semblait poser problème, introduction de précisions supplémentaires sur certains enjeux. Ces modifications sont restées limitées afin de permettre autant que possible le rapprochement entre les données Centre - Val de Loire et celles de l’enquête nationale. Toutefois, pour certaines variables, les réponses du Centre - Val de Loire ne peuvent pas être intégrées à l’analyse.

Questionnaire des chœurs

Le questionnaire destiné aux chœurs s’ouvre sur une série de questions permettant de décrire les caractéristiques de l’ensemble : taille, organisation, répertoire… Le reste du questionnaire explore le lien entretenu entre le chœur et son chef. Sont traités en particulier les enjeux liés au recrutement du chef (modalités, difficultés rencontrées…) et la façon dont est gérée la relation entre le chef et le groupe. Une série de questions sur les conditions d’exercice du chef permet d’identifier les chœurs dont le chef est rémunéré. Ceux-ci sont interrogés plus en détail sur les formes de cet emploi.

Questionnaire des chefs

Le questionnaire destiné aux chefs est introduit par des questions portant sur leur expérience de direction chorale (durée, conditions de découverte de la direction chorale) et sur leur formation. Une série de questions d’échelles visait d’une part à cerner leur conception de leur pratique de la direction de chœur et de leurs compétences en la matière. Un troisième volet de questions concernait leur situation professionnelle. Un groupe de questions conditionnelles n’était posé qu’aux chefs rémunérés afin de décrire les conditions dans lesquelles s’effectue cette rémunération.

Le questionnaire est conclu par la collecte d’indicateurs socio-démographiques. Afin de préserver l’anonymat des répondants individuels, et dans une optique de respect des disposition du RGPD, le questionnaire destiné aux chefs n’est cependant pas nominatif. Ce choix méthodologique interdit la mise en relation des bases de données et un croisement des réponses des chefs avec les caractéristiques des chœurs qu’ils dirigent.

1.2.3 Construction de l’échantillon

Au début des années 2000, l’État des lieux du chant choral pouvait s’appuyer sur le travail de veille réalisé en proximité par les Missions voix en région (anciens Centres d’Art Polyphonique). Le questionnaire avait ainsi été diffusé à l’intégralité d’une base de donnée recensant 5451 ensembles répartis sur les 15 régions parties prenantes. Le travail de relance et de suivi de proximité assuré par les Missions voix avait abouti à la collecte de 2541 réponses au questionnaire destiné aux chorales, et 2112 à celui destiné au chefs ce qui constituait un taux de réponse particulièrement satisfaisant et une base de travail solide.

Enquête Centre - Val de Loire

Pour la région Centre - Val de Loire, l’existence d’une Mission voix a permis la constitution d’un échantillon dans des conditions relativement similaires à celles de l’enquête d’État des lieux des années 2000. Cette première vague d’enquête a été diffusée auprès de l’intégralité de la base de données de 335 chœurs du CEPRAVOI. Cette phase a permis de récolter 80 réponses de chorales et 61 réponses de chefs de chœur.

Par la suite, les ensembles et chefs qui ont répondu à l’enquête Centre - Val de Loire ont été écartés de la phase nationale de l’enquête par un jeu de questions conditionnelles. Cette précaution permet d’agréger les données des deux phases sans risque de doublons.

Enquête nationale

Depuis les années 2000, la transformation du paysage institutionnel du milieu choral a profondément modifié les conditions de réalisation d’enquêtes à l’échelle nationale. La disparition de la plupart des Missions voix a pour effet immédiat une perte de connaissance de l’état des pratiques chorales sur la majorité du territoire national. En 2023, seules quatre Missions voix ont été en mesure de porter la démarche d’enquête. Quatre des cinq régions françaises les plus peuplées6 ne comptent pas de missions voix.

Dans les territoires où une Mission voix existe toujours, l’élargissement du périmètre de leurs missions fait qu’il ne leur est pas toujours possible d’assurer un recensement précis et systématique des pratiques amateurs dans de bonnes conditions. De plus, la réforme territoriale de 2016 fait que l’ensemble d’une même région n’est pas nécessairement connu avec la même intensité lorsqu’une Mission voix a du élargir son activité à un territoire qu’elle ne couvrait pas initialement.

Par rapport à l’État des lieux des années 2000, l’implication des acteurs majeurs que sont les fédérations nationales – À Cœur Joie et la Confédération Musicale de France – permet de compenser en partie le recul des missions voix. Toutefois, les chœurs fédérés ne représentent qu’une partie des pratiques chorales (un quart des ensembles interrogés au début des années 2000 adhéraient à une fédération). Bien que celles-ci aient eu tendance à se renouveler au cours des dernières années, l’histoire des fédérations les rattache aux mouvements d’éducation populaire (Lurton 2011), qui ont contribué à façonner profondément le milieu choral depuis les années 1950, mais qui ne reflètent pas toutes les dynamiques contemporaines de cette pratique.

Afin de compléter les accès au monde choral, plusieurs démarches ont été entreprises. Dans les départements non couverts par une Mission voix en Région, l’Institut Français d’Art Choral a établi des contacts avec des relais potentiels de l’enquête (en majorité les services culturels des conseils départementaux, cf. tableau 1.1). Cette démarche a permis de prendre la mesure de l’hétérogénéité des situations locales en terme d’accompagnement des pratiques chorales. Sur 53 conseils départementaux contactés, 33 ont souhaité et avaient les moyens de s’associer à la démarche

Tableau 1.1: Contact départementaux mobilisés (Hors régions couvertes par une Mission voix)
Contacts mobilisés Nombre de contacts établis Accords pour relayer l’enquête
Conseils départementaux 53 33
Agences culturelles départementales 6 6
Fédérations chorales départementales 5 4
Centres Nationaux d’Art Vocal 2 2
Total 66 55

Lorsqu’un contact a pu être établi, le questionnaire a été diffusé selon les moyens dont disposaient les relais locaux : bases de données de chœurs constituées dans le meilleurs des cas, listes de diffusions, réseaux d’écoles de musiques (cf. tableau 1.2)… L’observation des moyens de diffusion dont disposent les relais départementaux révèle que la capacité à toucher directement des chœurs amateurs de manière ciblée grâce à une base de données constituée est un cas minoritaire (22 cas sur 55 relais). Les réseaux d’établissements d’enseignement musical spécialisé ont joué un rôle important, révélant ainsi la place importante que prennent désormais aux yeux des pouvoirs publics le conservatoire et les écoles de musiques comme relais auprès du monde choral.

Tableau 1.2: Canaux de diffusion mobilisés par les relais départementaux
Canaux de diffusions mobilisés Nombre d’occurences
Listings de chœurs 22
Diffusion via les écoles de musique 34
Diffusion via des collectivités locales 7
Diffusion via les réseaux sociaux, sites web, newsletter,… 9

Par ailleurs, une recherche systématique a également été menée pour identifier les réseaux et organisations locales susceptibles de relayer l’enquête : fédérations départementales de chorales amateurs, réseaux de chefs de chœurs, festivals… En l’absence de retour des services départementaux, ces organisations ont parfois été les seuls relais de l’enquête sur certains territoires. Dans la mesure où pour certains départements, aucun relais n’a pu être joint, l’enquête a enfin été diffusée par le biais de médias et des réseaux sociaux (Publications Linkedin des institutions partenaires, diffusion sur des groupes Facebook de chefs de chœurs…), afin d’en maximiser l’impact.

1.2.3.1 Périmètre des pratiques chorales concerné par l’enquête

L’enquête de 2023 concerne toute pratique amateur ne relevant pas d’un cursus pédagogique. Les conservatoires et écoles de musiques qui pouvaient être destinataires du questionnaire étaient incités à le transmettre aux chœurs qu’ils hébergent ou qu’ils animent, si ceux-ci sont ouverts à la participation libre d’amateurs, indépendamment de tout cycle de formation. En revanche, les chœurs à vocation purement pédagogique étaient exclus de l’enquête.

L’échantillon de 977 chœurs et 745 chefs (hors réponses de la région Centre - Val de Loire ) permet d’éclairer précisément les pratiques chorales amateurs contemporaines. Le caractère non probabiliste de l’échantillon invite toutefois à la prudence dans l’extrapolation des résultats. La répartition des ensembles sur les territoires en particulier est particulièrement fragile au vu de l’hétérogénéité des relais apportés d’une région ou d’un département à l’autre.

1.3 Plan

Les deux premiers chapitres de ce rapport présenteront un état des lieux descriptif du paysage choral. Le chapitre 2 sera consacré aux chœurs et le chapitre 3 fera le point sur leurs chefs. L’enquête met en évidence des transformations profondes de la direction des chœurs amateurs. L’évolution des formations à la direction a entraîné en vingt ans une forte progression de la professionnalisation de la direction de chœur. Cette évolution fera l’objet du chapitre 4. Nous interrogerons enfin la façon dont cette professionnalisation transforme la direction des chœurs amateurs (Chapitre 5). Nous conclurons le propos dans le chapitre 6.

References

A Cœur Joie. 2020. « Chant choral : 5% de la population ». https://www.choralies.org/sondage-2020.
DMTS. 2007. Une approche des pratiques chorales en France. Paris.
Donnat, Olivier. 1996. Les amateurs, Enquête sur les activités artistiques des Français. Paris: La Documentation française.
———. 1998. Les Pratiques Culturelles Des Français: Enquête 1997. Paris: La Documentation française.
———. 2009. Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique: enquête 2008. Paris: Ministère de la culture et de la communication.
European Choral Association Europa Cantat. 2015. « Singing Europe, 37 Million Choral Singers in Europe ». https://europeanchoralassociation.org/wp-content/uploads/2019/01/singingeurope_report.pdf.
Guy, Jean-Michel. 2008. « Cultures croisées. Références interculturelles des Allemands, des Italiens et des Français ». Culture études 6 (6): 1‑32. https://doi.org/10.3917/cule.086.0001.
Lurton, Guillaume. 2007. Le monde des pratiques chorales : esquisse d’une topographie. Paris.
———. 2011. « Le Chœur partagé ; Le Chant choral en France, intégration socio-économique d’un monde de l’art moyen ». Thèse de doctorat, Paris.
———. 2018. « Formes économiques et identité sociale des chœurs amateurs en France ». Transposition. Musique et Sciences Sociales, nᵒ 7 (septembre). https://doi.org/10.4000/transposition.1830.
———. 2022. « Conditions dexercice de la direction de chœur en région Centre-Val de Loire ».
Muller, Lara. 2005. "Participation culturelle et sportive", Tableaux issus de lenquête PCV de mai 2003. Paris.
PFI. 2010. « L’Economie des choeurs ; Synthèse de l’enquête menée en 2008 par les Missions Voix en Région ». Villeurbanne.

  1. Direction Musique, Danse, Théâtre et Spectacle vivant. La démarche d’enquête était menée en relation avec le bureau de l’observation du spectacle vivant.↩︎

  2. Institut Français d’Art Choral↩︎

  3. CEntre de PRAtiques VOcales et Instrumentales en région Centre - Val de Loire↩︎

  4. Centre de ressources pour l’emploi culturel et artistique en région Centre-Val de Loire.↩︎

  5. Confédération Musicale de France↩︎

  6. Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine et Hauts-de-France.↩︎